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Benoît Hamon : Le socio-solidaire, fondement et cimes de la politique


Benoît Hamon est un homme politique français qui a été, entre autres, ministre, député, député européen, porte-parole du Parti socialiste et candidat à l'élection présidentielle de 2017. Après avoir décidé de se retirer de la vie politique, il se contente désormais de son siège de conseiller régional (Îles-de-France) et de président de l'Économie sociale et solidaire en France.

Il évoque, au Micro FM, divers sujets, dont la situation qui prévaut en France après la démission du gouvernement, les relations franco-tunisiennes, les principaux avantages de l'économie sociale et solidaire pour la Tunisie, un sujet qui lui tient à cœur.

Après avoir été, tour à tour, porte-parole du Parti socialiste, ministre par deux fois puis candidat à l'Elysée, vous vous êtes retiré de la scène politique, tout en gardant une activité à l'échelle régionale. Envisagez-vous un come-back ?

Je pense que nous avons tort de réduire la politique au travail partisan ou à la recherche de postes dans la démocratie représentative. La vérité est que la démocratie est plus large que la démocratie représentative. Aujourd'hui, je représente l'économie sociale en France, ce qui me permet de défendre environ deux cent mille entreprises et près de deux millions six cent mille employés, soit l'équivalent de 10% de la richesse créée en France (...) À travers l'économie sociale, nous essayons d'imaginer la stratégie que la France pourrait adopter dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, de la réduction des inégalités et de la transition écologique.

Tout cela est, en fait, un travail politique et, heureusement, la politique n'est pas le monopole des partis politiques. Il faut respecter le rôle des partis, mais ce qui me semble important aujourd'hui, en cette période en France, c'est que les partis politiques ne sont plus les seuls capables de proposer des solutions à la crise démocratique que traverse la France. Aussi est-il important de se tourner vers les acteurs de la Société civile, comme les syndicats, les organisations patronales, les acteurs associatifs et ceux de l'Économie sociale et solidaire (...) Si c'est un "come-back" dans la politique, comme avant, je vous dis que c'est "non", mais en même temps, je ne sens pas que j'ai quitté la politique. J'ai choisi de m'engager dans l'économie sociale et solidaire, qui est simplement une manière différente de faire de la politique.

Le Parti socialiste que vous connaissez bien et que vous avez quitté, il y a sept ans environ, pour créer votre propre mouvement, n'est plus ce qu'il était. Est-il capable de redresser la tête ?

Bien sûr, il peut le faire. Comme vous le savez, il faut s'attacher aux idées davantage qu'aux partis. Ces derniers sont 'mortels' mais les idées le sont moins. L'aspiration à la justice sociale ou à l'égalité, que représente la gauche, demeure présente, même à une époque où nous voyons toutes les nations occidentales tendre à se replier sur elles-mêmes (...) Cela peut être compris, à la lumière de la fin de l'hégémonie occidentale sur les affaires mondiales; ce qui est quelque chose d'étrange pour les élites occidentales qui ne définissent plus les règles du système mondial. De plus, le modèle économique qui a permis la prospérité de nos sociétés –je parle ici du modèle capitaliste– est désormais en crise (...) Il est évident pour tout le monde que nous ne pouvons pas obtenir une croissance infinie ou une richesse illimitée, dans un monde aux ressources naturelles limitées. Il est donc nécessaire de repenser le modèle dominant.
Toutes ces transformations ébranlent les fondements de la richesse économique occidentale, ainsi que de son autorité (...) Nous sommes donc dans un moment de crise en France, en Europe, et en Occident, qui se traduit soit par une tendance au repli sur soi, soit, au contraire, par la construction d'une nouvelle coopération, d'une nouvelle justice sociale et d'une stratégie de développement, qui tienne compte des impacts environnementaux et sociaux.

C'est pour cette raison que je pense que le Parti socialiste, comme d'autres partis, peut jouer un rôle et qu'il faut soutenir ceux qui cherchent à raviver les idées, plutôt que de se concentrer uniquement sur les partis.

La France se retrouve sans gouvernement, dans un contexte budgétaire alarmant et dans une situation de crise politique, après la démission du gouvernement. Qu'est-ce que vous attendez du président Macron ?

Je ne pense pas être en attente de quelque chose. Le président ne fait que ce qu'il juge approprié. Si je dis quelque chose, il fait souvent le contraire. Cela fait sept ans que nous voyons notre président agir seul. C'est sa manière de gérer les affaires et il ne m'appartient pas de juger cela aujourd'hui. Il y a une formule qui dit : 'la démocratie, c'est accepter de se mettre d'accord sur nos désaccords'. Nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais cela ne nous empêche pas de vivre ensemble. Aujourd'hui, nous voyons, dans de nombreux pays dont des démocraties, les différences entre les personnes mènent à des conflits et parfois à un rejet total de l'autre.

Nous en sommes arrivés à un point où nous ne parvenons plus à pouvoir imaginer vivre avec ceux qui ne partagent pas nos opinions. C'est pourquoi je pense que toute idée qui durcit le débat public mène inévitablement au manque de respect envers les individus et engendre conflits et désordre. La priorité, aujourd'hui, doit être de préserver la démocratie et la République, ainsi que les conditions d'un débat démocratique (...) En France, on dit souvent que les Français n'ont pas confiance en leurs représentants élus. Cela est, certes, regrettable mais avons-nous le sentiment que les élus ont confiance dans les citoyens qui votent pour eux ? C'est une question qui mérite d'être posée. Il semble qu'une fois élus, les responsables politiques s'accaparent les décisions et ne veulent plus entendre aucun autre avis, même celui de la Société civile. La relation de confiance entre les deux parties est désormais très altérée.

Pour reconstruire cette confiance, les responsables élus doivent d'abord montrer qu'ils ont confiance dans le génie collectif de la nation. Si j'étais à la place d'Emmanuel Macron, je prêterais plus d'attention à la démocratie participative, à la démocratie sociale. Si j'organisais une conférence sur le climat, je respecterais ce que les citoyens me disent, lorsqu'ils veulent réussir la transition écologique… Seulement, comme vous le savez, je n'ai pas été élu.

Le budget Barnier a-t-il fait autant peur pour avoir provoqué cette motion de censure, si peu courue ?

Il n'a plus été question de motion de censure, depuis 1962, ce qui est surprenant. En même temps, nous sommes dans le cadre de l'application de la loi, donc il n'y a rien de grave. Mais si l'on examine la question sous l'angle de l'économie sociale et solidaire, je me concentrerais sur les raisons qui sous-tendent cette décision (...) Du point de vue des députés, le budget proposé par Barnier aurait causé plus de souffrances plutôt que fourni des solutions. On a évalué le nombre d'emplois qui auraient été menacés, si ce budget avait été adopté et on a constaté qu'environ 186 mille emplois auraient été supprimés. (...) J'ai parlé avec le Premier ministre, qui est une personne très respectable et capable de dialoguer... J'étais très inquiet des conséquences de ce projet de loi de finances.

Le fait de ne pas l'appliquer, aujourd'hui, donne du répit et fournit une occasion de négocier, tant que nous respectons les règles du jeu démocratique. En tant qu'acteur de l'économie sociale et solidaire, je juge le débat sur ces questions budgétaires comme quelque chose de positif. Les Premiers ministres changent, mais nous restons debout.

Selon vous, quelle personnalité pourrait être nommée à Matignon ?

Je n'en ai aucune idée. C'est entre les mains de Macron et personne ne sait les décisions qu'il prendra. Cela pourrait être un homme ou une femme, de gauche ou de droite, mais il penche beaucoup vers la droite. Cependant, je ne sais pas.

Après la visite d'Emmanuel Macron au Maroc et la signature de plusieurs accords estimés à 10 milliards d'euros, pensez-vous que la France compte faire la même chose avec la Tunisie ? Surtout que les relations diplomatiques et économiques qui remontent à des décennies nécessitent cette collaboration ?

D'abord, il doit y avoir une volonté des deux parties. Je pense que nous sommes liés des deux côtés de la Méditerranée. Je me projette vers des relations qui respectent les agendas mutuels et qui se construisent sur des coopérations à long terme. Il est clair qu'il y a de nombreux points communs entre la France et la Tunisie, notamment en ce qui concerne l'économie sociale et solidaire. Il existe des expériences dans les deux pays, dans des domaines où nous pouvons être tous gagnants. (...) Il faut construire des stratégies de long terme qui reposent sur de gros contrats.

Selon vous, en tant que défenseur de l'économie sociale et solidaire (ESS), pouvez-vous nous dire comment les entreprises de l'ESS peuvent soutenir la reprise économique dans un pays comme la Tunisie ?

L'ESS est une économie de la souveraineté parce que c'est une économie territorialisée (...) Plus vous développez de l'ESS, plus vous êtes souverain économiquement. Cela est applicable à divers secteurs, comme la transition écologique, le recyclage, l'agriculture, la pêche, l'industrie...

L'économie sociale et solidaire inclut les unions, les organisations associatives et les coopératives liées régionales. Ces entreprises ne peuvent pas être vendues à l'étranger ni changer facilement d'identité. Lorsqu'une entreprise est créée, elle reste stable et ne peut pas être délocalisée, ce qui en fait un levier important et vital pour la souveraineté économique (...) De plus, les citoyens participent directement à ces innovations sociales et à ces entreprises; ce qui crée un double bénéfice. D'une part, des entreprises sont créées, offrant des opportunités d'emploi et générant de la richesse et, d'autre part, les citoyens participent à la prise de décision au sein de ces institutions (...) Par exemple, lorsque nous parlons de la célébration du centenaire de la première coopérative tunisienne, fondée en 1924, ce qui est rare, nous comprenons à quel point ce type d'entreprises est important. Une telle coopérative est une entreprise durable et lorsqu'on crée ce genre d'entreprise, il y a une possibilité que vos enfants et petits-enfants en bénéficient.

En tant qu'ancien ministre de l'économie sociale et solidaire en France, je pense que les lois adoptées en France en 2014 et en Tunisie en 2020, vont dans la bonne direction. Je suis convaincu que le développement de l'économie sociale et solidaire garantit que les économies servent la souveraineté nationale et les citoyens. Plus il y a d'entreprises de ce type en France et en Tunisie, plus la vie des citoyens s'améliore de manière significative.

En Tunisie, il y a déjà la récente expérience des entreprises citoyennes ou communautaires. L'ESS peut-elle aller de pair avec, en Tunisie ?

En réalité, cela ne concerne pas uniquement la Tunisie, mais tous les pays. Il n'y a pas de spécificité unique dans ce domaine. Cependant, je sais qu'il existe une initiative du président tunisien concernant les entreprises communautaires. La question est de savoir si cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'économie sociale et solidaire ou si c'est quelque chose de différent. Je pense que l'économie sociale et solidaire a le potentiel de transformer l'économie parallèle en une économie organisée et elle peut structurer des secteurs dans de multiples domaines sans fin, tout en générant de l'innovation sociale.

Parfois, au lieu de créer un nouveau service public qui alourdit l'État, lequel n'a peut-être pas les ressources financières nécessaires, l'économie sociale et solidaire peut offrir des solutions. Les entreprises de l'économie sociale et solidaire sont des institutions privées qui visent à réaliser l'intérêt général (...) Elle peut, par exemple, faciliter la réinsertion des personnes éloignées du marché du travail, prendre en charge les individus vivant dans une pauvreté extrême, apporter du soutien aux personnes âgées, ou fournir des crèches aux enfants. Ce sont ces missions que remplissent les entreprises de l'économie sociale et solidaire, ce qui signifie que nous participons ensemble à la réalisation de l'intérêt général. Pour les gouvernements qui s'intéressent à cette question, le développement de l'ESS est un moyen d'améliorer les services offerts à la population. Cette vision représente un avenir prometteur non seulement pour la Tunisie, mais aussi pour le Maroc, l'Algérie, les pays africains, ceux de l'Europe...

Amira Jendoubi 

Vidéo: Achwak Mejri
 

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